L’œil de l’expert

Publié le 18/03/2018

L’œil de l’expert

L’économiste poitevin Olivier Bouba-Olga est régulièrement consulté pour mener études et recherches sur le développement des territoires. La Vienne, ses potentialités, ses freins… Entre constat et perspectives d’avenir, le professeur des Universités livre ses vérités.

A quoi mesure-t-on l’attractivité d’un territoire ?

« Les ingrédients sont tellement nombreux que chaque département et chaque région ont leurs particularismes. La Vienne a certes des atouts indéniables, comme sa position géographique privilégiée entre Paris et Bordeaux et des conditions favorables à l’accession à la propriété mais, selon moi, cela ne suffit pas à faire bouger les lignes. Poitiers, pour ne parler que de notre chef-lieu, comme de nombreux territoires, y compris de très grandes villes comme Bordeaux, peine à recruter les personnes dont elle a besoin. Nombre de travaux menés à l’échelle nationale ont fait la démonstration que les Français n’étaient pas très mobiles. Et quand ils le sont, ce n’est que rarement pour aller très loin. Un constat s’impose : le refus de s’installer à des centaines de kilomètres de sa famille ou de ses amis résulte souvent de la crainte de ne pouvoir trouver un emploi à son(sa) conjoint(e). »


Les campagnes de promotion de la Vienne régulièrement menées à Paris et dans d’autres métropoles ne servent-elles donc à rien ?

« On surestime leur importance : les personnes vont là où elles ont des attaches ou là où elles trouvent un emploi, pas en raison de ces campagnes de communication. Je suis plus favorable à une vraie stratégie d’ancrage, qui donne envie aux nouveaux résidents venus pour un emploi d’y rester et agit pour l’accompagnement des couples. Tant qu’une véritable politique d’accompagnement n’est pas mise en place -et cela vaut également pour le soutien à apporter aux entreprises vivant déjà sur notre sol-, on ne peut pas espérer lever les freins à la mobilité. »


Vous évoquiez les difficultés des entreprises bordelaises à recruter. La Vienne n’a donc rien à envier à la capitale de la Nouvelle-Aquitaine ?

« Les raisons ne sont pas les mêmes, mais oui, le problème est assez général. Au-delà de ce point, il convient de sortir du débat sur la soi-disant hégémonie de Bordeaux et sur sa soi-disant volonté de manger tout le monde. Je travaille actuellement pour la nouvelle Région et je peux vous dire qu’elle est très attachée aux projets visant à dynamiser ou redynamiser les territoires non métropolitains, dans les douze départements de sa responsabilité. A charge pour ces territoires de développer des projets. La ville-même de Bordeaux est confrontée à d’autres problèmes que Poitiers, notamment à des prix immobiliers qui ne rendent le centre-ville accessible qu’à des CSP+++. Ce phénomène pousse peu à peu les familles les plus modestes vers la deuxième ou la troisième couronne et n’est pas sans causer certains problèmes sociaux. Je pense au passage que des villes comme Poitiers ou Angoulême peuvent profiter de cet « engorgement » démographique pour attirer à elles des Aquitains. »

Croyez-vous dans le pouvoir de la collaboration entrepreneuriale ?

« Travailler dans son coin, à l’abri des regards, est une tendance que l’on observe trop souvent, dans toutes les organisations. Je pense qu’il est devenu essentiel, pour une majorité de PME-TPE, de s’ouvrir davantage et de chercher à découvrir, chez la voisine, mais aussi la boîte bordelaise, rochelaise ou périgourdine, des compétences complémentaires qui serviraient leurs intérêts. Pour moi, l’heure de la concertation et de la collaboration a sonné à tous les étages, entrepreneurial, politique, universitaire… »


« Une stratégie politique à définir »

« La réussite de la Vienne en termes d’attractivité passera par la capacité de nos politiques à définir une stratégie de développement économique non plus locale et partisane, mais territoriale et concertée. On ne peut désormais avancer sans réfléchir et agir avec l’ensemble des bassins d’emploi du département. L’axe de travail entre Poitiers et Châtellerault, et j’ai le sentiment que c’est ce qui se fait jour, doit être renforcé, mais sans oublier Loudun, Montmorillon ou Civray. A ce titre, il serait utile de créer une agence de développement économique ou d’urbanisme, capable de produire des connaissances et de les faire remonter aux élus pour éclairer l’action, comme cela existe sur de très nombreux territoires, mais pas ici ! D’autant plus que des équipes de recherche mobilisables par ce type de structure sont nombreuses à l’Université de Poitiers... »