Ryadh Sallem à l’école de la vie

Publié le 18/11/2018

Ryadh Sallem à l’école de la vie

Né sans mains ni jambes, Ryadh Sallem s’est accompli par le sport (*). Parallèlement engagé dans de multiples projets solidaires, entrepreneuriaux et associatifs, ce « militant de l’humanité » intervient régulièrement en milieu professionnel pour parler handicap aux chefs d’entreprise et salariés. Comme à l’occasion de la conférence d’ouverture, ce 8 novembre.

Lorsqu’on vous parle d’humanité au travail, thème de votre conférence d’aujourd’hui, quel sentiment cela vous inspire-t-il ?

« Le premier fondement de l’humanité, c’est le respect de l’autre et de ses différences. Une notion hélas trop souvent bafouée. Lorsque je rencontre des enfants handicapés, la première chose que je leur dis, c’est de ne pas voir ce qu’ils n’ont plus, mais ce qu’ils ont encore. Et de se servir de ce potentiel pour avancer et aller toujours plus loin. Accepter les différences, c’est accepter sa propre différence, c’est le seul moyen pour que ces gamins ne s’auto-excluent pas de la société qu’ils s’apprêtent à construire. En entreprise, c’est pareil. Ce sont l’expérience et le talent qui nourrissent l’excellence, pas le contraire. Je regrette que malgré les efforts consentis ces dernières années dans l’acceptation et l’intégration du handicap au travail, trop nombreux soient encore les patrons ou les RH à se fier davantage aux diplômes et au physique qu’au savoir-être et au savoir-vivre pour recruter. Porter un jugement sur l’autre sans même essayer de le connaître, de le comprendre, de découvrir ce qu’il a dans le ventre, est la reconnaissance d’une peur. Or, pour entreprendre et bâtir, on est obligé de dépasser ses peurs. »

Selon vous, la société et l‘entreprise à travers elle n’auraient pas encore abjuré toutes leurs peurs ?

« Ni peurs, ni préjugés. La défiance à l’égard du handicap est, selon moi, un problème culturel, en France tout particulièrement. Il suffit de constater que les structures dédiées sont la plupart du temps situées hors des villes, à la périphérie, alors que l’intégration géographique constituerait une base essentielle d’accompagnement efficace et durable. Dans les entreprises, même si, aujourd’hui, 85% d’entre elles emploient des handicapés, tous les paramètres ne sont pas encore réunis pour faire bénéficier aux gens accueillis d’aides techniques, voire thérapeutiques, qui leur sont pourtant nécessaires, selon les pathologies rencontrées. On avance, mais le chemin est encore long. Le message que j’adresse aux patrons est celui-ci : « Vous êtes tous des handicapés en sursis, alors soyez des égoïstes intelligents. Penser à ceux qui sont différents, c’est penser à vous demain ! » »

Sont-ce vos années de souffrance qui vous ont bâti ce moral de vainqueur et cet altruisme sans failles ?

« J’ai l’habitude de dire que je n’ai pas les pieds sur Terre, mais la tête sur les épaules. Vous savez, quand vous avez passé des années renfermé dans un centre ou un hôpital à regarder le plafond et quand l’horizon s’ouvre enfin à vous, le sentiment est indéfinissable. Moi, je me suis tout de suite senti prêt pour l’extérieur, mais l’extérieur, lui, n’était pas prêt à m‘accueillir. Je n‘ai pas eu la chance de pouvoir emprunter des autoroutes, je me suis contenté de petits chemins. Et j’y suis arrivé. En ne me souciant jamais de ce que je ne pouvais faire, mais en me centrant sur ce que j’étais capable de réaliser et de la manière dont je pourrais repousser les limites, je me suis construit un mental d’acier. »

Lequel a été renforcé par votre immersion dans le monde sportif…

« Je n’ai aucun mal à avouer que le sport m’a permis de rester vivant. J’ai toujours été fan de basket. Après de brillantes années de nageur handisport, j’ai décidé que je voulais vivre encore plus. Tout simplement parce que la passion, chez moi, est souvent plus forte que la raison. Grâce à cela, j’ai fini par être en paix avec mon corps. J'ai appris que ce n'est pas parce qu'on perd aujourd'hui qu'on ne gagnera pas demain. Au rugby, ce fut la même chose. Lorsque j’ai commencé, j’étais le joueur qui souffrait du plus petit handicap. Beaucoup étaient tétraplégiques. Face à moi, j’ai trouvé des gladiateurs, qui me sont rentrés dans la tronche, me prouvant qu’il n’y a de limites que celles qu’on s’impose. La douleur et l'échec font partie de l’existence, mais la résilience permet de grandes choses. En sport, je suis maître de ma souffrance, je ne la subis plus. C’est mon école de vie. »